Favoriser l’équité



Illustration for the reason "Favour equity"

Dr Robert Farrow (MAODE, SFHEA) est Senior Research Fellow à l’Institute of Educational Technology de l’Open University (Royaume-Uni), où il dirige le programme de recherche Learning in an Open World. Il est codirecteur du Global OER Graduate Network (GO-GN), un réseau international dédié au soutien des chercheur·es doctorant·es et postdoctorant·es en éducation ouverte et coéditeur du Journal of Interactive Media in Education.

Le rôle de l’ouverture dans la lutte pour l’équité dans l’éducation

Introduction

La diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) sont devenues centrales dans les discussions sur l’éducation, la justice sociale et la réforme institutionnelle. Pourtant, dans ce cadre, l’équité reste à la fois la plus négligée et la plus difficile à mettre en œuvre. Alors que la diversité peut être mesurée en termes démographiques et l’inclusion en termes de représentation et de participation, l’équité est plus difficile à quantifier et encore plus à atteindre. Elle nécessite non seulement l’accès, mais aussi une répartition équitable des ressources et des opportunités de manière à remédier aux désavantages historiques et structurels. Nulle part ces défis ne sont plus évidents que dans l’éducation, où les inégalités systémiques façonnent les expériences d’apprentissage et les résultats. Pourquoi l’équité est-elle souvent réduite à des formes d’inclusion ? Pourquoi est-elle si difficile à atteindre et comment les principes de l’éducation ouverte se recoupent-ils avec ces ambitions permanentes ? On fait valoir ici que l’ouverture doit être une perspective critique sur les pratiques existantes.

Pourquoi l’équité est-elle négligée

L’équité dans l’éducation consiste à garantir que chaque individu ait accès aux ressources, aux opportunités et au soutien nécessaires pour développer son plein potentiel, quels que soient son origine, son identité ou sa situation. Contrairement à l’égalité, qui fournirait des ressources ou des opportunités identiques à l’ensemble des étudiant·es, l’équité reconnaît que les apprenant·es partent de situations différentes et sont confronté·es à des défis différents. Une approche équitable tient compte des obstacles systémiques, des inégalités historiques et des besoins individuels, en ajustant l’allocation des ressources ou des méthodes d’enseignement en conséquence.

Un visuel représentant la différence entre égalité et équité.
Une représentation commune de l’égalité et de l’équité par Ciell (CC BY-SA), Wikimedia Commons

Une idée fausse répandue est que l’équité consiste uniquement à garantir l’accès à l’éducation. Bien que différentes, l’équité et l’inclusion se renforcent mutuellement. Un système peut être inclusif mais pas équitable (par exemple, une école diversifiée où les élèves issu·es de milieux défavorisés ont encore des difficultés en raison du manque de ressources) ou équitable mais pas inclusif (par exemple, une école qui apporte un soutien aux élèves marginalisé·es mais ne parvient pas à créer un environnement où ils/elles se sentent valorisé·es et entendu·es). Si l’accès est fondamental, l’équité implique également de veiller à ce que les élèves aient de réelles possibilités de réussir une fois qu’ils/elles sont dans le système. Cela implique de remédier aux disparités en matière de qualité de l’enseignement, de pertinence des programmes, d’opportunités extrascolaires et même de besoins fondamentaux comme l’alimentation et le soutien en matière de santé mentale.

L’équité est fondamentalement une question de justice, ce qui nécessite de reconnaître que différent·es élèves sont confronté·es à différents défis. Traiter tout le monde de la même manière ignore les barrières systémiques qui touchent de manière disproportionnée les groupes marginalisés, comme la pauvreté, la discrimination ou l’isolement géographique. Cependant, la « justice » est un concept controversé, et il existe des idées concurrentes sur ce que signifie être juste. Par exemple, nos processus politiques et pédagogiques doivent-ils être « équitables » (justice procédurale) ou devons-nous également veiller à ce que les résultats soient ajustés pour être « équitables » (justice substantielle) ? Il est facile de se perdre dans les détails de tels arguments.

L’une des principales raisons pour lesquelles l’équité est souvent négligée est qu’elle est en fin de compte plus perturbatrice et ambitieuse que la diversité ou l’inclusion. Les institutions peuvent démontrer leur engagement envers la diversité en présentant des statistiques démographiques et elles peuvent promouvoir l’inclusion par des politiques qui encouragent la participation. Mais la véritable équité exige une justice redistributive et remet en question les structures de pouvoir bien ancrées, ce qui en fait une question plus controversée.

En outre, l’équité est difficile à définir et à mesurer. S’il est relativement simple de suivre le nombre d’étudiant·es issu·es de milieux sous-représentés dans une université, il est beaucoup plus complexe de mesurer s’ils/elles reçoivent un soutien, des ressources et des opportunités adéquats. L’équité exige un changement systémique, qui nécessite une critique plus approfondie de la manière dont les systèmes éducatifs et sociaux reproduisent les privilèges et les désavantages. En conséquence, de nombreuses institutions s’arrêtent au niveau superficiel de la DEI, célébrant la diversité et encourageant l’inclusion tout en évitant le travail inconfortable de la transformation structurelle. Fournir des preuves pour quantifier le traitement équitable est bien sûr un point d’orientation important, mais il est essentiel de reconnaître que les demandes d’équité ne sont pas satisfaites en créant un état temporaire de traitement équitable.

A map showing countries/territories by inequality-adjusted Human Development
The Inequality-adjusted Human Development Index in 2022 based on the UN Development Programme Human Development Reports 2023 – 2024, by Reodorant, Wikimedia Commons, CC-BY.

Le défi de l’équité en éducation

L’équité en éducation est particulièrement difficile car elle nécessite des interventions à plusieurs niveaux (politique, pédagogie et culture institutionnelle). Contrairement aux initiatives de diversité ou aux efforts d’inclusion (qui risquent d’être symboliques), l’équité exige des changements matériels dans les structures de financement, la conception des programmes et les pratiques d’enseignement, ainsi que dans la société dans son ensemble.

L’un des plus grands obstacles est l’écart de ressources entre les étudiant·es issu·es de milieux socio-économiques différents. Les étudiant·es aisé·es ont accès à des écoles mieux financées, à un tutorat amélioré et à une multitude de systèmes de soutien scolaire. Le statut socio-économique se superpose souvent à des caractéristiques telles que l’origine ethnique et le sexe, mais ne peut pas se réduire à ces éléments.

Un autre défi majeur est l’inégalité culturelle et épistémique. Les systèmes éducatifs traditionnels ont tendance à privilégier les récits culturels dominants, marginalisant souvent les connaissances autochtones, les philosophies non occidentales et les modes d’apprentissage alternatifs. Les efforts en faveur de l’équité doivent aller au-delà du soutien financier et infrastructurel pour inclure la réforme des programmes d’études, la reconnaissance et la valorisation des diverses traditions de savoir et d’apprentissage, et l’offre aux apprenant·es de programmes d’études qui reflètent et respectent leur héritage culturel et leurs expériences uniques.

Éducation ouverte et équité

L’éducation ouverte – fondée sur les principes d’accessibilité, de partage et de collaboration – a le potentiel de faire progresser l’équité éducative en supprimant les obstacles financiers et structurels à l’apprentissage. Les ressources éducatives libres (REL), par exemple, peuvent atténuer les disparités dans l’accès aux manuels et aux supports d’apprentissage, en particulier pour les étudiant·es issu·es de milieux économiquement défavorisés. De même, les revues en libre accès démocratisent la production de connaissances en mettant la recherche à la disposition d’un public mondial, plutôt que de la limiter à ceux/celles qui peuvent se permettre des abonnements coûteux à ces revues.

L’ouverture peut être une voie vers une meilleure équité, et c’est une bonne chose. Cependant, l’éducation ouverte n’a pas besoin d’être intrinsèquement équitable. Si l’ouverture peut atténuer les obstacles liés aux coûts, elle ne résout pas automatiquement les problèmes d’équité pédagogique, ni les problèmes plus larges de concentration du pouvoir. De nombreuses ressources ouvertes sont créées dans une perspective occidentale et peuvent renforcer les déséquilibres de pouvoir existants dans la production de connaissances. De plus, les étudiant·es et les enseignant·es des régions défavorisées peuvent ne pas disposer de l’infrastructure numérique nécessaire pour bénéficier pleinement des initiatives d’éducation ouverte.

En outre, l’éducation ouverte remet en question le contrôle académique traditionnel, ce qui peut conduire à la résistance des institutions investies dans le maintien d’un accès exclusif au savoir. De cette manière, la poussée vers l’équité dans l’éducation ouverte reflète des luttes plus larges pour la justice éducative, nécessitant non seulement un accès, mais des efforts intentionnels pour autonomiser les apprenant·es marginalisé·es et diversifier les systèmes de connaissances. L’équité dans l’éducation est un problème qui s’étend bien au-delà de la salle de classe, et pour cette raison, elle peut sembler hors de portée du personnel éducatif. Les pratiques ouvertes offrent un moyen d’étendre et de coordonner notre portée.

Équité : performative ou transformatrice ?

La véritable équité dans l’éducation ne peut être atteinte par l’inclusion passive ou des gestes symboliques. L’équité éducative reste la composante la plus difficile et la moins abordée de la DEI car elle exige un changement structurel et la réorganisation des relations de pouvoir, deux éléments difficiles à mesurer à court et moyen terme. L’équité met les institutions au défi de s’attaquer aux inégalités profondément ancrées, de redistribuer les ressources et de repenser les hiérarchies épistémologiques. Si l’éducation ouverte offre une voie prometteuse vers une plus grande équité, elle doit elle aussi tenir compte de ses propres limites et de ses propres préjugés, en exploitant l’ouverture comme un regard critique sur les pratiques existantes et historiques.

Cette criticité est fondamentale pour les approches d’éducation ouverte, qui partent du constat que les dispositions existantes sont inadéquates d’une certaine manière. La perspective critique alignée sur les formes ouvertes d’organisation peut fournir un puissant mécanisme de transformation, mais son plein potentiel ne peut être réalisé que lorsqu’elle est associée à des perspectives critiques et philosophiques qui abordent la justice épistémique, l’inclusion numérique et les inégalités structurelles. Il ne suffit pas de rendre les ressources ouvertes. Les approches pédagogiques doivent être structurées de manière à garantir que des apprenant·es divers·es puissent s’engager de manière significative, en adoptant la conception universelle, en démocratisant la pédagogie et l’évaluation. Les institutions doivent interroger leurs hypothèses, leurs principes fondateurs et leurs effets continus sur la société. Les pays doivent chercher à comprendre leur développement continu. L’intégration de cadres axés sur l’équité dans les initiatives d’éducation ouverte peut nous faire évoluer vers un paysage éducatif plus juste, plus participatif et plus transformateur. Cela nécessite que nous adoptions des perspectives critiques qui remettent en question celles et ceux qui ont un intérêt direct dans le statu quo.

“Favour equity” by Robert Farrow is licensed under CC BY 4.0