Reconnaître le travail de l’enseignant·e



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Anne-Catherine Baseilhac est Cheffe de projet Éducation ouverte à Nantes Université (France), et pilote La Fabrique REL de Nantes Université, qui diffuse des ressources éducatives libres (REL) sur sa plateforme NÉO.

L’Éducation ouverte (EO) porte la volonté de contribuer à réaliser l’ODD (objectif de développement durable) N°4 de l’ONU : « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ».

Le cœur du réacteur de la démarche de l’EO réside donc dans le corps enseignant. Or que constate-t-on aujourd’hui à travers le monde ? Une pénurie d’enseignant·es, dont le premier « Rapport mondial sur les enseignants », publié par l’UNESCO en 2023, s’alarme. Les causes en sont multifactorielles naturellement, mais les questions du statut social et de la motivation arrivent en bonne place. Une meilleure reconnaissance du travail de l’enseignant·e, par ses pairs, par les apprenant·es, par son institution, et par la société dans son ensemble, serait sans nul doute un facteur contributif à la valorisation de leur rôle essentiel dans l’éducation des citoyen·nes du monde. 

En examinant l’ensemble des mécanismes en jeu dans le déploiement de l’éducation ouverte, nous pouvons entrevoir qu’elle offre un terrain particulièrement propice à la reconnaissance du travail de l’enseignant·e.

Reconnaissance par les pairs : libérer les initiatives et révéler les compétences

L’EO encourage la coopération entre enseignant·es, que ce soit en travaillant à plusieurs sur un projet de création de REL (ressources éducatives libres), en partageant ses REL ou en utilisant des REL. L’expertise de chacun·e bénéficie à toutes et tous, encourageant la reconnaissance entre pairs, au sein de réseaux élargis et de communautés de pratiques enrichissantes.

De plus, les enseignant·es qui adoptent l’EO sont intéressé·es par l’innovation pédagogique ; elles et ils contribuent à l’amélioration des pratiques pour une meilleure réussite des apprenant·es, leur travail peut être ainsi reconnu par l’impact obtenu.

Le talent pédagogique de l’enseignant·e peut pleinement s’exprimer, il devient visible, explicité. Les REL sont en effet fondées sur l’exercice d’une authentique liberté pédagogique, celle-là même qui donne tout son sens à la profession.

Considérant que l’avenir du métier d’enseignant·e se dessine vraisemblablement dans une plus forte expertise en ingénierie pédagogique, la place qui lui est faite dans l’EO ne peut que renforcer la reconnaissance du travail de l’enseignant·e par ses pairs.

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Reconnaissance par l’apprenant·e

L’une des caractéristiques des REL est d’atteindre un large public, au-delà du cercle restreint d’une salle de classe. L’enseignant·e permet à des personnes parfois éloignées des institutions éducatives d’accéder à une éducation de qualité, et contribue à réduire les inégalités liées à des barrières financières, géographiques ou sociales.

Concernant la nature intrinsèque des REL, qui apportent des supports flexibles, adaptés aux besoins de l’apprenant, elles permettent d’enrichir l’expérience d’apprentissage et contribuent à la réussite de l’apprenant·e.

Ces deux facteurs sont sources de reconnaissance de l’apprenant·e pour l’enseignant·e, qui lui a généreusement partagé son support pédagogique, en accès ouvert.

Reconnaissance par l’institution

Une institution qui encourage les pratiques autour de l’éducation ouverte, peut donner à ses enseignant·es, de par une politique volontariste, l’opportunité institutionnelle de manifester leur projet en y donnant de la visibilité, de développer leurs talents en les accompagnant de manière personnalisée. Elle peut également reconnaître leurs contributions de création de REL en décernant des distinctions valorisées dans leur profil et parcours professionnel.

L’EO représente ainsi une opportunité de reconnaissance spécifique des enseignant·es qui s’y engagent, par leur institution. Elle s’inscrit dans un contexte d’évolutions culturelles et technologiques majeures et irréversibles, auxquelles les institutions éducatives doivent s’adapter et qui imposent le renouveau de la mission éducative de leurs enseignant·es. Elles ont donc tout intérêt à se saisir de l’EO et des mécanismes à l’œuvre dans ses pratiques pour valoriser leurs enseignant·es volontaristes et pionnier·ères dans cette nouvelle dimension de leur métier.

La reconnaissance peut également s’exprimer par d’autres institutions que celle où exerce l’enseignant·e ; L’EO se déployant par essence dans le monde entier, le travail d’un·e enseignant·e sur la création de REL peut être identifié, reconnu et valorisé (au travers d’un prix par exemple) par une autre organisation, association professionnelle internationale (Ex : OEG, ICDE, etc…) ou institution d’un autre pays.

Reconnaissance par la société

Un·e enseignant·e peut trouver via l’EO une forme de reconnaissance « éthique » de son métier, auprès des citoyen·nes. C’est là tout l’enjeu du statut social du corps enseignant à revaloriser. « C’est l’attente d’une nouvelle forme de reconnaissance, celle d’une utilité sociale partagée et plus universelle, la prise en compte de compétences qui doivent être rendues visibles et appréciables par tous » (Torres, 2014). 

L’EO rend davantage visible à tous l’attention portée par l’enseignant·e qui s’y engage à la transmission éducative gratuite, généreuse, ouverte et partageable. 

Cette reconnaissance par la société peut être d’autant plus profonde que la démarche d’éducation ouverte d’un·e enseignant·e résulte d’un choix personnel, volontariste, nullement imposé par son institution.

L’ensemble de ces leviers de reconnaissance du travail de l’enseignant·e est rendu possible grâce à la protection du droit d’auteur inhérent aux REL, via l’attribution d’une licence à la ressource (exemple : licence Creative Commons). Cette licence assure la paternité de l’œuvre à l’enseignant·e tout au long de la vie de la REL, au fil des modifications qui pourront y être faites, et constitue le socle de la reconnaissance évoquée.

L’Éducation ouverte, de par la pluralité des interactions éducatives qu’elle porte et leur nature, semble donc représenter un moyen essentiel pour répondre au besoin de reconnaissance de la profession enseignante. Les institutions qui sauront s’en saisir en la déployant pleinement, c’est-à-dire en accordant aux enseignant·es qui pratiquent l’EO à travers les REL une trajectoire professionnelle distinctive, ont toutes les chances de s’engager dans un cercle vertueux. Le cercle vertueux de l’Éducation ouverte, qui rend accessible au plus grand nombre un savoir de qualité, grâce à des enseignant·es passionné·es par la transmission, pleinement reconnu·es pour leur contribution au progrès social.


Références

Torres, Jean-Christophe. « La reconnaissance professionnelle des enseignants : difficultés et contradictions ». Administration & Éducation, 2014/4 N°144, 2014. p.143-149. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/revue-administration-et-education-2014-4-page-143?lang=fr.

“Reconnaître le travail de l’enseignant·e” par Anne-Catherine Baseilhac est sous licence CC BY 4.0